Hausse des frais d’inscription des étudiants internationaux extra-européens : alerte sur les dommages collatéraux

 

L’AVUF partage l’ambition du gouvernement d’améliorer l’accueil des étudiants internationaux dans notre pays, car il s’agit d’une source de rayonnement pour la culture française, de stimulation des mobilités sortantes des jeunes français, et de création de liens durables propices aux coopérations économiques, scientifiques ou diplomatiques avec les pays d’origine.

Cependant, l’AVUF souhaite engager un dialogue avec la Ministre de l’ESRI, au regard d’une implication des villes qui mérite d’être reconnue, de réserves importantes sur les objectifs quantitatifs et les moyens nécessaires, de quelques pistes à approfondir, et d’une demande de moratoire sur les frais différenciés.

1. L’action des villes

Les collectivités fédérées par l’AVUF ont capacité à mobiliser leurs compétences pour améliorer l’accueil, et renforcer l’expérience française des jeunes du monde entier qui choisissent nos universités pour un temps d’études ou de recherche. Les moyens locaux mis en œuvre constituent déjà, et constitueront encore davantage à l’avenir, une contribution non négligeable pour renforcer l’attractivité académique nationale. Chaque étudiant reçu sur un territoire joue un rôle d’ambassadeur pour son territoire d’accueil et pour la France au sein de la communauté internationale.

Le souhait d’une labellisation

L’AVUF propose que le label « Bienvenue en France – Welcome to France » qui sera délivré par Campus France aux établissements désirant rendre visible les efforts faits pour améliorer les dispositifs et actions dédiés à l’accueil, porte sur tout l’écosystème d’accueil et pas seulement sur l’établissement, en englobant ainsi les initiatives locales mises en place par les collectivités.

Ces initiatives sont multiples, comme en témoignent toutes les expériences de guichet unique portées ou coordonnées par les villes et métropoles, les constructions de résidences internationales, les opérations de parrainages menées avec différents acteurs territoriaux, ainsi que les Nuits des Étudiants du Monde, organisées par 25 villes depuis plusieurs années.

Nos membres peuvent aller encore plus loin en jouant sur les synergies avec leurs propres jumelages et coopérations décentralisées (diplomatie des villes) encore largement sous-exploitées.

 

2. Des réserves sur les objectifs et les moyens

L’objectif de 500.000 étudiants internationaux en 2025, sans doute déterminé dans l’espoir de préserver la 4ème place de la France en terme d’accueil des étudiants internationaux, nous paraît démesuré et présenter des risques importants pour les budgets des universités, et donc pour leurs performances.

 

4 risques majeurs nous interpellent

  •  L’AVUF s’inquiète particulièrement de l’absence de solutions convaincantes pour permettre aux universités d’accueillir plus de 175.000 étudiants supplémentaires entre 2017 et 2025. Si la proportion d’étudiants en cursus diplômant reste la même (75%), le coût moyen de leur scolarité génèrera en effet un besoin supplémentaire de financement supérieur à un milliard d’euros.

    L’augmentation des frais d’inscription prévue pour certains d’entre eux ne couvrirait qu’une très faible partie de ce surcoût, puisqu’un grand nombre en seront dispensés (européens, boursiers, sous conventions de réciprocité) et qu’elle ne représenterait qu’un tiers du coût réel de leur scolarité.

  • Une telle d’augmentation tarifaire conduira les étudiants à privilégier les universités les plus renommées, ce qui provoquera inexorablement un accroissement de distorsions déjà existantes. L’AVUF redoute ainsi des effets négatifs pour un certain nombre d’universités dans les villes moyennes ou petites métropoles, déjà trop rarement bénéficiaires de l’internationalisation de l’économie et des savoirs.

  • A l’instar de la Cour des comptes qui avait explicitement mis en garde contre l’ « hypothèse risquée » d’une hausse touchant les étudiants, avec «un éventuel effet d’éviction difficile à évaluer», de nombreuses universités craignent cet effet d’éviction et leurs conséquences sur le maintien de certaines formations qui accueillent de nombreux étudiants hors EEE représentant parfois jusqu’à 80% des effectifs des étudiants internationaux. De très nombreux laboratoires universitaires ne fonctionneraient pas sans les jeunes chercheurs étrangers, qui constituent d’ailleurs 40% des doctorants de notre pays, et encore davantage sur certains sites de pointe, tel que le plateau de Saclay.

  • Enfin, l’AVUF craint que cette mesure préfigure un désengagement futur du financement étatique de l’ESR, ce qui a pu être observé ailleurs dans le monde alors même que la Nation devrait investir encore davantage pour répondre aux défis présents et à venir posés par l’accélération de la mondialisation.

 

3. Des pistes à approfondir

A l’heure du Grand Débat National, l’AVUF estime qu’un sujet aussi complexe mérite un temps d’échange plus conséquent et plus documenté, en mobilisant de réelles études d’impacts, des analyses nationales et internationales ainsi que les travaux de chercheurs sur la mobilité étudiante. Elle souhaite que toutes les parties prenantes puissent s’exprimer sur ce sujet qui touche à la fois aux situations individuelles des étudiants, à l’avenir des formations et de la recherche, et à la stratégie de rayonnement international de la France.

Les membres du CA de l’AVUF ont déjà ouvert deux pistes de réflexion

  • L’idée d’une différenciation modulée s’inspire de la variation des bourses attribuées aux étudiants en mobilité se déplaçant à l’étranger (via le programme Erasmus +) en fonction de la distance avec le pays d’accueil et de la prise en compte du coût de la vie sur place.

    Quand on connait l’attachement de la France à certaines parties du globe et à certaines institutions multilatérales (Francophonie, G20 etc.) et que l’on partage son intérêt géostratégique à se positionner clairement en tant que leader dans la formation des élites de l’ensemble des pays du Monde, la mise en application de frais calculés sur la base des coûts de la vie des pays d’origine mérite d’être envisagée.

  • Par ailleurs la croissance du nombre d’étudiants internationaux pourrait s’appuyer davantage sur les mobilités entrantes non diplômantes, plus facilement autofinancées. Il existe en effet des opportunités d’activités génératrices de ressources pour les universités : programmes courts, séjours linguistiques, services sur mesure, etc. surtout auprès des ressortissants des pays à fort pouvoir d‘achat ou ayant un intérêt économique.

 

4. Une demande de moratoire

A l’instar d’autres organisations telle que la CPU, l’AVUF n’a pas arrêté de position définitive sur le principe de droits différenciés, mais demande un moratoire sur la question. En l’absence de véritable concertation impliquant l’ensemble des acteurs et de mesures d’impacts réels sur l’augmentation des frais d’inscriptions pour les étudiants internationaux et leurs conséquences, notamment en comparaison avec les autres modèles européens et internationaux, il convient de prendre le temps de la réflexion pour éviter qu’une telle mesure ne soit contre-productive, alors que les ambitions sont partagées par tous.

La comparaison internationale des frais différenciés mériterait d’être accompagnée d’une mesure d’impact sur la politique d’accueil des pays concernés depuis leur mise en place et d’étudier de manière plus systématique les expériences en la matière d’autres établissements d’enseignement supérieur dont certaines COMUE. Il convient également de prendre en compte les systèmes sociaux des pays comparés. Cette mesure ne devrait donc pas faire l’impasse sur un réel et complet benchmark européen et international, nourrit par les travaux de chercheurs reconnus.

Enfin nous rappelons que les frais différenciés annoncés ne viendraient a priori couvrir qu’un tiers du coût de scolarité des étudiants internationaux supplémentaires, laissant à la charge du contribuable français ou des universités le financement de la différence. L’objectif de 500.000 étudiants internationaux en 2025 nous semble donc à réétudier, sauf à admettre qu’il se réalise essentiellement sur des cursus non diplômants, facturés alors à leur coût réel. Ce n’est pas l’orientation souhaitée par le Conseil d’Administration de l’AVUF, attaché à l’accueil d’étudiants venant pour des cycles complets.

Propositions de l’AVUF à propos de l’augmentation de la tarification de la scolarité pour les étudiants internationaux :

En conclusion, nous proposons que le moratoire que nous appelons de nos vœux soit mis à profit pour lancer dès à présent une étude d’impact de cette mesure, dresser un comparatif précis des conditions d’accueils de nos pays voisins et notamment l’Allemagne et la Russie, particulièrement offensifs en termes de soft power estudiantin. Nous souhaitons enfin favoriser l’idée d’un coût différencié selon les capacités contributives des étudiants internationaux.

 

Collectivités membres du Conseil d’Administration ayant délibéré sur ces éléments le 30 janvier dernier:

CA du Grand Besançon, CA de Cambrai, CA de Castres-Mazamet, Ville d’Ivry-sur-Seine, Métropole du Grand Nancy, Ville de Nantes, Métropole d’Orléans, CU du Grand Reims, CA de Saint-Brieuc, Ville de Sceaux, Ville de Strasbourg, Ville de Toulouse, Ville de Tours.